Dans un sens on peut dire que, pour l’acteur, la marche « pré-exprime » en amont de toute intentionnalité de jeu dramatique d’expression. Au risque même que cette expression sur scène lui échappe et joue autre chose que la situation ou le personnage supposerait : l’acteur alors, « marcherait faux ».
N’est-il pas extraordinaire de voir
que depuis le temps où l’Homme marche, personne
ne se soit demandé pourquoi il marche,
comment il marche, ce qu’il fait en marchant.
Honoré de Balzac
Pièces de référence : Attention la marche, Krops et le Magiciel, Si la Joconde avait des jambes, Alors, ça marche !
A l’école d’Etienne Decroux, à travers les marches « stylisées » nous avons découvert certains fondamentaux de la marche : le poids, la chute, la poussée, le contact au sol. Cette approche a donné à Claire Heggen dès 1984 le désir de faire une étude approfondie (en relation avec une kinésithérapeute spécialiste du mouvement dansé, Blandine Calais) sur cette action humaine élémentaire, la marche. Ainsi est née une grille d’analyse qu’a partagée toute l’équipe d’acteurs dès 1985. Pourquoi la marche ? Parce que tout le monde marche et que personne n’y prête attention.
La marche est, pour un observateur vigilant et sensible, une fenêtre ouverte sur son intimité.
Extrait de Si la Joconde avait des jambes
Quand la marche s’accélère ou se ralentit, quand l’amplitude des pas diminue, quand le pas s’alourdit ou s’allège, quand la marche se fait cahotante, boiteuse, qu’elle s’arrête brusquement ou bien doucement, c’est déjà l’acteur. Dans un sens on peut dire que, pour l’acteur, la marche « pré-exprime » en amont de toute intentionnalité de jeu dramatique d’expression. Au risque même que cette expression sur scène lui échappe et joue autre chose que la situation ou le personnage supposerait : l’acteur alors, « marcherait faux ».
De ce fait la marche est un enjeu fondamental dans la formation de l’acteur. Il apparaît nécessaire qu’il repère ses tendances personnelles et maîtrise un éventail large de marches diverses au service de la construction du personnage. Si la marche peut être considérée comme une psychologie de la personne, une image de soi en déplacement, elle est aussi musique, rapport aux autres, rapport à l’espace, rapport au monde. Elle est le lieu convivial, le transport en commun de manifestations sociales rituelles : enterrements, manifestations de revendications etc…
Si elle est un miracle chaque fois renouvelé, nous engageant dans le risque de la chute, elle est un symbole puissant du chemin qui nous conduit de manière irréversible de la naissance à la mort.