La notion de musicalité du mouvement m’a été inspirée par Etienne Decroux lui-même. D’une part, par sa manière d’accompagner ses cours en chantant et d’autre part, parce qu’un jour de 1977, alors que devenus professionnels,Yves marc et moi-même, nous tentions de lui expliquer notre démarche pour Equilibre instable. Il nous dit: « Oui ! Je vois, vous faites du mime musical! ». Jamais évoquée en cours, cette métaphore éclaira la notion de dynamo-rythmes et de comédie du muscle dont il parlait.
Cela m’incita à porter une attention particulière à l’organisation du mouvement dans la durée, mais aussi, aux variétés dynamiques, toniques, respiratoires du corps, et à leur expressivité.
Lento, accelerando, decelerando, silence, immobilité, pizzicato, vibrato, con forza, percussion, choc appuyé, choc suspendu, ma non tropo, deviennent états d’âme, émotions, pensées, etc… Une lenteur fera écho à un choc brusque, une immobilité tenue appellera une décristallisation en douceur imperceptible, une tension s’apaisera brutalement, un souffle retenu demandera soupir…
De même, les métaphores avivent l’imaginaire : mouvement en antennes d’escargot, conséquences bâton, ficelle, barque, voile, bave d’araignée, sont autant de finesses musicales qui parlent de la relation de notre acteur au monde.
Le corps de l’acteur est ainsi théâtre musical, modulant les vitesses, préparant les coups d’éclat (de théâtre), nuançant à l’infini les couleurs (par rétention, restriction, détente calculée, dépenses excessives, retenue entretenue, compression, expansion, invasion), variant les qualités de tonus à des niveaux différents du corps ou les généralisant. La respiration s’y fait dramatique et rythme la petite musique intérieure.
Le jeu corporel musical, portrait des arcanes de la pensée, révèle les hésitations, les certitudes, les renoncements, les décisions, les doutes. Il distille ainsi, à volonté, le drame, la légèreté, l’humour.
Cette musicalité sera également pour « l’auteur – compositeur – metteur en scène » un point d’attention, sensible et fondamental, pour composer : Musicalité générale et rythme d’une pièce, alternance des chœurs, canons, fugues et moments solistes, phrasé du discours gestuel (Articulation, syntaxe, accents, etc), dialogue avec la musique. Toutes choses orientées en direction d’un public en relation empathique éprouvant ces mêmes variations et mises en tensions/détentes.
Dans la continuité de cette notion de musicalité du mouvement, la relation de la voix et du mouvement a été explorée dans une approche théâtrale, entres autres avec le Roy Hart Théâtre et avec le chant classique. Cette recherche a mis en lumière, par un jeu d’écoute réciproque, les redondances, contradictions, causalités, conséquences, impossibilités et contraintes entre musicalité du mouvement et musicalité vocale écrite ou improvisée.
Le travail avec les textes musicaux et partitions de Georges Aperghis, interprétés en scène dans le spectacle Encore une heure si courte fut l’une des plus belles mises en application de cette recherche.